Renvoyer sa femme ?

Il nous faut suivre de près le texte ! Il s’agit une fois encore d’une mise à l’épreuve de Jésus par ses adversaires. Quelle est donc cette épreuve ? Soit Jésus répond « oui » à la répudiation, et il se met alors en contradiction avec son enseignement fondé sur le respect de chaque personne, et particulièrement du plus fragile : ici, la femme, puisque c’est l’homme seul qui décide ! Soit il répond « non », et il galvaude la vénérable loi de Moïse ! N’oublions pas ce contexte polémique. Comme dans le récit de la femme adultère, il s’agit d’instruire le procès de Jésus.

Un glissement très intéressant s’opère tout de suite alors que Jésus demande ce qui est « prescrit » et que les pharisiens répondent qu’il est « permis ». Est-il possible de faire la différence entre une loi, un commandement et une permission ? Le divorce n’est pas commandé, il est permis. Ce n’est pas tout à fait la même chose ! Ainsi, il est rappelé au passage qu’il s’agit ici d’une concession à cause de la dureté du coeur, et non d’un commandement. Cette concession était en réalité pour mettre un peu de justice dans une pratique sauvage de répudiation dont la femme était essentiellement la victime. Il fallait rédiger un acte et donc motiver cet acte. La femme retrouvait alors sa liberté. Faire d’une concession qui tente d’encadrer une pratique, un droit, voire un commandement, est donc déjà totalement abusif.

Il est donc logique que Jésus rappelle alors la loi fondamentale si je puis dire. Mais qui n’est un « texte » de loi justement, mais bien plutôt une vocation, un appel à la vie et au bonheur, une parole qui redit un projet fondamental, une aspiration inscrite au coeur de l’humain.

Quelle est cette vocation, cette aspiration : l’alliance de l’homme et de la femme pour former une unité nouvelle : un couple, un foyer, une seule chair ainsi que le dit la parole de la Genèse. Jésus a donc peu à peu fait sortir l’assemblée de l’univers juridique pour la faire entrer dans la question du sens, de l’orientation de la vie elle-même. Est-on d’accord pour dire que l’aspiration profonde de l’humain est bien une alliance, un lien si fort qu’il fonde une unité nouvelle, un partage de la vie qui va jusqu’au partage de la chair, des corps, dans la conjugalité ? Donner son corps en vue de la fécondité relève-t-il d’un sens profond, qui engage la personne ?

Est-il possible de rappeler que ce projet-là est indissoluble ? Ou plutôt que nulle loi écrite n’a le pouvoir d’effacer des années de don, de partage, d’alliance, de fécondité. Un loi peut bien sûr prendre acte que deux personnes ont décidé de se séparer parce que la vie commune devenait impossible. Mais on ne peut rayer de soi, de sa vie, de son expérience, ce qui est inscrit au plus profond. Ce qui s’est construit, comme ce qui a fait souffrir. Il y a bien quelque chose d’indissoluble dans ce lien qui a tant engagé les personnes entre elles. On peut ensuite aménager la vie pour qu’elle continue, on n’a pas le pouvoir d’effacer, de dissoudre. S’il fallait le résumer d’un mot : « l’amour est indissoluble ». C’est cela que j’appelle une loi fondamentale, non écrite, mais qui est un appel, une vocation à la vie, au bonheur. Il me semble important de rappeler que le lien, l’union, le mariage, l’alliance, ne peuvent être mis  sur le même plan que la séparation, le divorce. On ne parle pas de la même chose. J’espère que je me fais comprendre.

Jésus n’ignore évidemment pas les forces obscures ni les blessures qui nous aliènent et qui nous font nous blesser jusqu’à parfois préférer la séparation. Il rappelle ce qui est premier, ce qui est fondamental, ce qui est projet de la vie, et ce qui doit trouver ses variables d’ajustement, des permissions, et surtout son chemin de miséricorde, de pardon, de relèvement, lorsque le mal est fait. Il serait curieux qu’on oublie à cette occasion tout le reste de l’Évangile et notamment des passages comme la rencontre avec la femme adultère ou la Samaritaine. Jésus ne les prive nullement de son amour, de son pardon, de sa miséricorde. Mais la miséricorde n’empêche par ailleurs nullement un rappel de la vocation, de l’appel premier.

La finale doit être entendue dans ce contexte sous peine d’entrer à nouveau dans un légalisme, dans du juridisme. Jésus fait ici allusion au renvoi unilatéral de l’un des deux, même si le fait qu’une femme puisse renvoyer son époux était impensable dans la société juive. En revanche, n’oublions pas que c’était possible dans la législation romaine. Enfin, notons que Jésus n’aborde pas la question de la séparation des deux époux par consentement mutuel.

« La joie de l’amour », exhortation donnée par le pape François à l’issue du synode sur la famille ne disait pas autre chose à mon sens. Elle rappelait l’appel fondamental à la vie, à l’alliance et le pape a toujours dit et redit qu’il n’était pas question pour lui de faire de la législation nouvelle pour plaire aux uns et mettre en colère les autres. En revanche, nous mettant à l’écoute ensuite du chemin concret de personnes séparées, il demandait si la seule chose que nous avions à leur proposer était un rappel de la loi et un interdit ? Ou bien si nous engagions alors avec elles, par l’écoute de leur histoire, un chemin possible de miséricorde ? L’assurance que Dieu n’abandonnait jamais ses brebis et surtout pas celle qui se sentait perdue, voire exclue.

Amen