Si ta main… coupe-la !

. On retrouve, encore et toujours, le critère du plus petit, du fragile que l’on peut faire chuter : on se rappelle, je l’ai déjà dit dans une précédente homélie : pas de misérabilisme, simplement ce critère révèle qui nous sommes, quelle est la qualité de notre humanité. « Celui qui est un scandale, une occasion de chute pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer. » Celui qui dispose de ce critère a une bonne clef de lecture de beaucoup de scènes de la vie quotidienne. Deux souvenirs :

–          Un ami, enseignant en philosophie dans l’établissement où je travaillais me raconte qu’il est avec ses enfants dans un Mac Do. Des ados commencent à se chamailler à une table à côté, et un geste désordonné fait tomber un verre de coca et une part de frites. Arrive immédiatement une serveuse, jeune, timide, qui nettoie les dégâts. Avant qu’elle ait fini, un ado jette une frite par terre : elle la ramasse aussitôt. Un autre poursuit, elle continue. Ça les fait rire ! Mon ami intervient et leur dit que maintenant ça suffit ! Effarée, apeurée, la serveuse lui demande de ne rien dire, elle ne veut pas perdre son job, elle en a besoin. Triomphe des ados ! Quel regard porter sur une scène de la vie ordinaire ? Bêtise d’ados ! Ou déjà jouissance abjecte de son pouvoir, de sa domination et de l’humiliation de l’autre ! La barbarie, la bête, toujours tapie et qui n’attend qu’une conjoncture favorable pour se développer et emporter parfois, tel un raz-de-marée toute une société, et parfois le monde en l’embrasant (XXème siècle d’épouvante… et ça continue, mais plus loin de nous !)

–          Mesure exceptionnel du pape à l’encontre de ce prêtre chilien qui avait érigé sa vie et ses relations en véritable système de prédation depuis des dizaines d’années ! François, sans passer par aucune procédure judiciaire et parce que l’Eglise lui en donne le pouvoir l’a renvoyé immédiatement de l’état clérical, sans aucune procédure. Les mots sont durs, sont justes, ils font penser aux mots qui vont suivre dans l’Evangile d’ailleurs : « nous étions confrontés à un cas très grave de pourriture, il fallait l’éradiquer ! »

–          À l’inverse, souvenir lumineux d’une maraude que je faisais avec un paroissien autour de la gare. Tout un peuple de SDF. On parlait avec eux. Et tout à coup arrivent des voitures (on venait de leur voler leur camionnette) avec des tables et des repas à servir pour tout ce monde. Le jeune homme qui présidait cette association le faisait au nom de Dieu (regard plein de lumière), ils étaient musulmans, ça m’a fait un bien fou. Mais aussi tous les paroissiens qui se sont mobilisés pour accueillir tout un groupe d’Albanais pour qu’ils ne passent pas les nuits dehors, dans la violence de la rue. Les familles que nous avons accueillies dans deux appartements que nous avions trouvé et mis à disposition. Nous n’avions pas de grandes théories sur les migrants, simplement, nous ne pouvions pas ignorer celles et ceux qui étaient là, parmi nous. Il nous fallait prendre notre part à nous. Ne pas attendre que les autres fassent et se positionnent.

 

La parole du Christ prend un sens aigüe. « Ne les empêchez pas ! » L’esprit de Dieu est universel, on ne l’enferme dans aucune catégorie. Il faut s’en réjouir.

 

La finale de notre évangile du jour s’éclaire. Le combat se passe en chacun de nous. Si ta main, ton pied, ton oeil… pas celui du voisin, d’abord le tien. Qui pourrait prétendre que sa main n’a servi qu’à serrer celle de l’autre, qu’à saluer, à relever, à soutenir ? Qui pourrait prétendre que son oeil n’a jamais regardé avec convoitise, ou mépris, ou moquerie ? Qui pourrait prétendre que son pied ne l’a jamais entrainé dans une impasse, dans des chemins tortueux ? On entre toujours blessé d’une certaine manière dans le Royaume. Blessé par le regard, la main ou le pied de l’autre. Blessé par le regard, la main, le pied qu’on a porté sur l’autre. La vie creuse en nous l’homme, la femme que nous voulons être, que nous voulons devenir.

 

Au fond, n’est-ce pas un message essentiel du Christ ? Ne scandalise pas, ne provoque pas la chute d’un petit, car tu l’es toi-même ! Si tu refuses cette vérité, tu n’entres pas dans la vie, tu n’entres pas dans le Royaume, tu te mets à l’écart de la vie selon l’évangile.