Pour vous, qui suis-je ?

. C’est « LA » question ! Toute la première partie de l’Évangile selon Saint Marc a mené à ce moment où s’opère un basculement. Jésus a appelé, il a commencé à enseigner, à prêcher dans les synagogues, à accomplir un certains nombre de gestes, d’actions qui ont interrogé. Et logiquement les questions ont commencé à fuser : « qu’est-ce que cela ? » ; « jamais nous n’avons rien vu de pareil » ; « qui donc est-il ? » ; « tous étaient dans l’étonnement » ; « d’où cela lui vient-il ». Le temps est désormais venu : « et vous, pour vous, qui suis-je ? » Cette question de l’identité elle traverse la vie de chacun de nous. « Je suis qui pour toi ? » Tu es mon fils, ma femme, mon ami… d’accord ! Mais encore, au-delà d’un mot. Nous attendons tous que l’autre dise quelque chose de personnel, qu’il s’engage, qu’il dise combien ce lien est important peut-être même essentiel dans sa vie.

Tu es l’amour de ma vie. Tu es mon roc, mon soutien, sans toi je serais perdu. Tu es mon émerveillement, ma joie en te voyant grandir. Mais aussi peut-être mon inquiétude… etc Et parfois, ma déception !

Cette question j’ai souvent eu envie de la poser aux chrétiens. Dans des moments d’énervement bien sûr. Mais quel bonheur aussi lorsque je sens que la réponse a pu être : « Eric, tu es là pour nous rappeler toujours, encore, à temps et à contretemps, à Jésus, le Christ. Tu n’es pas là pour nous faire la morale, ni même pour nous assommer de doctrine. Tu es l’aiguillon dans la communauté pour nous redire, toujours : Jésus ! Susciter notre adhésion à Lui, notre amour pour Lui.  Alors, je me sens à ma place.

C’est donc « LA » question de la foi. C’est même celle qui va déterminer toute la vie de l’Église. Mais qui est-il pour nous ?

 

. La réponse à cette question engage en réalité un itinéraire, un chemin !

Il me semble que nous comprenons aisément que si notre foi est un lien, un attachement à une personne – donc une relation – notre réponse ne saurait être purement intellectuelle, cérébrale, doctrinale. Elle engage tout notre être, toutes ses dimensions (physique, psychologique, intellectuelle, morale, spirituelle, affective). Si je demande à quelqu’un qui est cette personne pour toi ? et qu’on me réponde : c’est ma femme, mon mari, mon fils, mon ami… le mot qualifie un certain type de relation. Mais il sous-entend aussi une intimité qui ne se révèle qu’au coeur d’un chemin, d’un itinéraire. Qui pourrait avoir la naïveté de penser que la relation filiale par exemple, est définie une fois pour toute et de manière universelle, doctrinale ? On devrait alors poursuivre le questionnement : et qu’est-ce que cela veut dire pour toi, d’être son père ou son fils ? Quelles joies et quelles déceptions parcourent ta découverte de la filiation et de la paternité ? Comment cette relation t’a révélé à toi-même des aspects de ta personne que tu ne soupçonnais pas ? Comment sens-tu que cette relation te construit, te fait grandir, mais aussi qu’elle te met à l’épreuve ? Et de même pour la relation conjugale, amicale etc…

La foi se révèle donc, de la même façon, cette relation vivante sur laquelle je vais mettre des mots : Il est la Parole de Dieu dans ma vie, sa présence à mes côtés, Il est le Fils du Très-Haut, Il est mon frère aîné qui m’entraîne vers le Père du Ciel etc… Et dans le même temps, je sens bien que je suis amené alors à témoigner d’un itinéraire. Et comment cela s’est découvert en toi ? Comment tu entretiens cette relation puisque tu sembles dire qu’elle est importante dans ta vie ? Comment cette relation modifie ta perception du monde, de tes activités, de tes relations aux autres, et à toi-même sans doute ? Nous voici au coeur de la foi.

 

. Ce chemin se révèlera un passage, une pâque au coeur duquel se dessine la Croix ! Si nous parlons d’un itinéraire, d’un chemin, c’est bien que nous sommes des réalités en devenir, pas des produits achevés qui attendent avec plus ou moins de bonheur leur date de péremption. Saint Paul le dit : « la création gémit dans les douleurs de l’enfantement ». Chacun de nous gémit en naissant peu à peu à sa réalité. La création est un acte continu. Dieu est à l’oeuvre.

On pourrait le dire autrement : nous sommes de passage, nous passons ! Ce qui en terme biblique se dit : nous vivons la pâque.

Lorsque nous entendons : celui qui ne me suis pas et ne prends pas (ne lève pas) avec moi sa Croix, celui-là ne pourra sauver sa vie, il faut bien dire que ça résiste en nous !

Le message n’est absolument pas : plus tu souffres, mieux c’est ! Le message est plutôt : si tu as peur de ce qui souffre en toi et de ce qui est en train de mourir en toi, alors tu t’empêcheras de renaître et de vivre vraiment. Parce que sur cet itinéraire, tu traverseras inévitablement les moments où tu te sentiras déchiré, écartelé, perdu, souffrant… bref tout ce que représente la Croix comme injustice, souffrance, impression de subir totalement l’événement, solitude extrême et l’horizon même de la mort à la fin.

Il faut du temps, du chemin pour comprendre et intégrer cela. Pierre n’en est pas là. Il refuse pour l’instant cette vérité de la vie elle-même.

Pour chacun de nous, accueillir la dynamique pascale : mort et renaissance demande d’entrer profondément en soi. De saisir ce que cela veut dire au coeur de chacune de nos existences. Cela demande de mûrir.

Apprenons en tout cas à reconnaître sur notre route celles et ceux qui nous aident à vivre vraiment, à ne pas avoir peur de ce qui est en nous-même et dans les autres, à regarder le réel en face, sans se détourner, à ne pas nous fossiliser dans des postures devenues vides et sans vie. Sachons faire la différence entre ces personnes-là et les joyeux compagnons de plaisir ou d’activités qui ne nous sont d’aucune aide lorsqu’il s’agit de traverser, de passer, de renaître, de vivre la pâque.

Jésus, bien sûr, est le maître du passage, de la pâque. Saurons-nous le suivre ainsi qu’il nous y invite. Pour vivre, évidemment !