Hypocrites !

Je relève trois choses essentielles pour ma relation au Seigneur, pour ma foi, dans cet évangile !

L’Hypocrite : mot employé de nombreuses fois par Matthieu. Une seule fois, par Marc. L’hypocrite est un acteur au sens étymologique. Dans le théâtre grec, il porte d’ailleurs un masque pour mieux signifier qu’il joue un personnage. Il est donc sous le regard d’un public. On est loin du coeur, de la vérité de la personne, mais dans une composition. C’est quelqu’un qui est tout en surface, qui ne donne pas accès au coeur, c’est à dire à sa personne, à l’intériorité. Les lèvres ne dévoilent pas le coeur, pour reprendre les mots d’Isaïe.

Être une personne et non un acteur, tel serait donc l’enjeu ! Ou pour le dire autrement, il nous faut passer du personnage à la personne ; tel serait le chemin de la foi, et peut-être de la vie elle-même. Nous savons tous que ce monde est un théâtre où il nous faut parfois (de nombreuses fois ?) jouer un personnage, ce que l’on attend de nous. Mais la composition, le jeu de rôle, tue la relation. L’empêche. Or, si la foi est une relation au Seigneur, alors le jeu de rôle de l’hypocrite, de « l’acteur en religion », nie la foi elle-même. C’est la raison pour laquelle l’hypocrite est pointé du doigt et que le Seigneur dit même en Matthieu, dans le Sermon sur le montagne : « qu’il a touché sa récompense » puisqu’il est remarqué de son public, celui pour lequel il joue. En revanche, qu’il n’attende rien, bien sûr d’une relation qu’il tue dans l’oeuf
par sa fausseté fondamentale !

Il me semble qu’un enjeu fondamental de toute relation vraie, et tout particulièrement de celle avec le Seigneur, est de nous faire naître peu à peu à ce que nous sommes, à notre véritable personnalité. Et nous naissons tout au long d’une vie à la vérité de qui nous sommes, de ce que nous désirons, de ce qui nous fait vivre. L’hypocrisie nous empêche de naître à nous-même, dans la relation. Elle fait de nous des masques de théâtre. Des ombres, plutôt que des vivants.

Seigneur, un des aspects du cléricalisme dénoncé par le pape comme source de tant de maux dans notre Église, est la composition, le jeu de rôle. L’Église est alors prise comme n’importe quelle institution de ce monde, où il s’agit de jouer sa gratification, l’affirmation de son pouvoir
en impressionnant un public qu’il faut subjuguer, fasciner. Prends pitié de nous Seigneur, convertis-nous ! Fais que je puisse tordre le cou en moi à l’acteur qui joue pour devenir la personne que tu aimes et veux relever.

Survalorisation des traditions au détriment de l’essentiel. Je me suis demandé ce qui se jouait dans cette capacité qu’a l’humain, dans ses rapports sociaux comme dans sa relation à Dieu, dans sa pratique de sa religion, à inventer et empiler des rites, des obligations, des façons de faire, des règles, des codifications. Il me semble que ces traditions (avec un t minuscule) que  nous aimons surajouter à l’essentiel sont surtout des marqueurs sociaux, des indicateurs de sensibilité qui nous permettent de repérer notre semblable ! Je dis bien notre semblable, et pas notre prochain. Je peux inventer tout un empilement de codifications, de plus en plus contraignantes d’ailleurs, pour en réalité me mettre en scène, ou mettre en scène le milieu social qui est le mien ou la sensibilité religieuse qui est la mienne. Certaines règle de table, arrivées à un point de sophistication étonnant fonctionnent ainsi.

Alors qu’il me semble que l’essentiel, lui, m’engage. Il m’oblige précisément à être en vérité dans la relation. À dépasser l’accessoire. Ce qui est second. Pour aller chercher la vérité. Pour le dire d’une formule, la question n’est plus alors : « sommes-nous du même monde ? », « pouvons-nous nous fréquenter » et jouir de nos similitudes ? Mais bien plutôt : « Qui es-tu ? Quelle est ton humanité ? Qu’est-ce qui te fait vivre ? Quel est le vrai carburant de ton existence ? Qu’est-ce qui rend la vie savoureuse ? »

Nul doute, pour le dire avec humour, qu’avec Dieu, la question de savoir si nous sommes bien du même monde, n’a évidemment aucun intérêt ! Alors que sous son regard, comprendre quelle est mon humanité, comment sa Parole, sa présence, ma relation à Jésus, la travaille, mon humanité, la convertit, la change, la fait évoluer. Voilà une question qui est centrale !

Pur/Impur – Intérieur/Extérieur. Faire de la religion, de l’éthique, de la morale, ou plonger dans l’expérience de la foi ! La foi devrait être cette plongée en soi-même où j’apprends à me connaître selon le regard de Dieu. Pas simplement « connais-toi toi-même » selon la formule de Socrate. Mais avec l’assurance qu’un amour, une parole me précède et entre en dialogue avec moi pour me découvrir qui je suis, ce que j’attends, quel est mon désir de la vie.

C’est incroyable comme nous pouvons avoir peur de descendre en nous pour y trouver cette expérience de l’intériorité. Que redoutons-nous tant ? C’est comme si des forces nous ramenaient toujours à l’extérieur de nous. Et nous avons ce pouvoir de transformer la religion elle-même en du faire, de l’accumulation de pratiques diverses au lieu de nous mettre à l’école de l’intériorité, de ce dialogue intérieur qui nous fait grandir. Avons-nous peur de découvrir aussi la part obscure ? De ne pas être à la hauteur de notre idéal de nous-même ? Alors nous accusons l’extérieur d’être impur. Aucune pratique rituelle ne sauve, ne guérit, ne relève, ne fait renaître, si elle n’est pas le signe de la démarche du coeur. L’engagement à être en vérité dans le dialogue avec l’Évangile. Si à Dieu même je ne peux dire mon obscurité et ma lumière, à qui le dirai-je ? Aux hommes ? Eux qui jugent sans savoir.