Pourquoi le disons-nous vivant ?

Pâques
01 04 18

S’il s’agit de dire pourquoi nous sommes disciples d’un homme mort il y a quasi 2 000 ans et que nous disons vivant, nous sommes dans l’embarras. Le dire vivant, qu’est-ce que cela signifie ? S’il s’agit d’une leçon apprise, d’une doctrine, d’une idéologie, d’un catéchisme, il est évident que cela ne peut le rendre vivant. Personne n’est vivant après sa mort de ce qu’un texte, fût-il autorisé, l’affirme. Comment vivons-nous avec le vivant ?
Certains des disciples finissent par ne plus rien penser des affirmations officielles de la foi. Ils sont plus nombreux qu’on le pense, surtout si l’on ne traite pas immédiatement de mauvais croyants, peu croyants, ceux qui ne sont pas avec l’Eglise ses rites et doctrines, comme des poissons dans l’eau.
Thomas d’Aquin dont la pensée tient un rôle de référence dans le catholicisme, depuis un certain nombre de siècles, en fait pas tant que cela, parce qu’il a commencé par être condamné, ou du moins certaines de ces thèses, écrit que la foi ne s’arrête pas à l’énoncé, mais vise ce que cet énoncé désigne.
« Quiconque croit adhère au dire de quelqu’un. C’est pourquoi, il semble que ce qu’il y a de principal et qui est comme la fin de chaque croyance, c’est celui à la parole de qui on donne son adhésion, tandis que ce qui est comme secondaire, ce sont les choses auxquelles on tient dans cette volonté d’adhérer à quelqu’un. » « Dans le symbole, on tend vers ce en quoi il en va de la foi pour autant que l’acte du croyant y trouve sa fin, comme le montre la manière de parler. Or l’acte de foi se termine non à la proposition mais à la chose : nous ne formons en effet des énoncés si ce n’est pour avoir par eux la connaissance des choses, dans les sciences comme dans la foi. » (ST 2a 2ae. q. 11, a. 1, resp.et q. 1, a. 2, ad 2um).
Que disons-nous, que vivons-nous, que croyons-nous quand nous disons Jésus ressuscité, vivant ? Nous disons, à en croire les quatre évangiles, d’abord, brutalement, abruptement, un vide. Le tombeau est vide, le corps n’est pas là. On ne pourra s’y attacher quoi qu’on l’aurait voulu, on ne pourra rien saisir, retenir. Les affirmations homologuées ou non, canonisées ou non, ne pourront remplacer ce corps à moins de le trahir.
Ce vide, nous ne le découvrons pas seul. Il y a toujours quelqu’un avant nous pour nous le dire, une femme la première. Mais nous le constatons aussi. Nous le vivons terriblement. Nous voilà bien seuls. Ce vide, aussi, nous met en route. Une course même. Et pourquoi donc courir ? Nostalgie d’une relique qui aurait échappé et que l’on voudrait rattraper s’il est temps ? La course ne s’arrête pas au tombeau. On en repart hanté par la quête de ce Jésus dont les paroles brûlent le cœur dès lors que l’on accepte de les écouter, dont la vie nous appelle à changer de vie, pour peu qu’on prenne ce qui en est raconté au sérieux.
On parvient au seuil du tombeau, vide, non parce qu’on visiterait les cimetières, par hasard ou maladie, mais parce que l’enseignement de Jésus ouvre à l’humanité un chemin de vie. Alors on le cherche et l’on passe par sa tombe. La mort de Jésus ne renverse pas tout, demeure la vérité d’une attente pour le monde, celle qu’il a vécue.
L’apologétique, l’institution, la tradition, la foi de nos pères, les bonnes raisons de croire ne font plus sens. Elles sont aussi justes qu’elles peuvent être démoniaques, au service du mal. Elles ne rendent jamais compte de la foi, tout juste la sortent-elles de l’irrationnel. Elles risquent de n’être que de piètres et vains substituts au corps disparus. Ce corps, c’est désormais les frères qu’il faut servir. Il faut au plus vite quitter le tombeau pour servir les siens, son corps à soigner, à veiller, à honorer.
Et lorsque nous sommes en contradiction avec sa vie, nous sommes récupérés par une issue plus béante encore que le tombeau. Le mal en nos vies, même ineffaçable, ne dit pas le dernier mot de ces vies, parce qu’il nous aime. Son amour donne à nos vies le poids qu’elles n’ont pas d’avoir frayé avec le mal et la mort.
Voilà, ce Jésus nous attache à lui. Voilà, ce Jésus nous tient. Tous les dogmes peuvent voler en éclat, ne plus faire sens, mais ce Jésus nous tient, non comme une idée, mais comme un vivant, un ami. Nous n’avons rien d’autre à dire quand il faut expliquer pourquoi nous sommes aujourd’hui ses disciples, pourquoi nous le disons vivant. Nous sommes tenus. Rien ne garantit que ce ne soit illusion, superstition, si ce n’est que cela met nos vies en forme de la sienne, au service des siens.