Homélie de Mgr Brunin

4ème dimanche de carême
Mgr Brunin, évêque du Havre
Retraite paroissiale 11 03 18

Nous continuons notre montée vers Pâques. C’est un chemin de conversion de tous les jours et de tous les instants. C’est en permanence que le Seigneur nous appelle : « Revenez à moi de tout votre cœur… Convertissez-vous… » La 1ère lecture du livre des Chroniques nous rappelle que le peuple « multipliait les infidélités en imitant toutes les abominations des nations païennes. » Ce constat est toujours actuel : vivant dans un monde imprégné par l’indifférence et l’incroyance, les idoles se multiplient. Nous les connaissons bien : le pouvoir sur les autres, notre désir de briller à leurs yeux, la course aux richesses … Il est plus facile de nous en remettre à des idoles plutôt qu’à Dieu ; elles sont moins exigeantes puisque nous nous les fabriquons à notre mesure, à partir de nos intérêts ou de nos désirs.
Le temps du carême nous est donné pour reprendre conscience que Dieu nous aime et veut nous libérer de nos idoles et du mal qu’elles génèrent dans notre vie. Dans la seconde lecture, l’apôtre Paul insiste précisément sur cette bonne nouvelle : « Dieu est riche en miséricorde ; à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions des  morts par suite de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ. » Voilà cette bonne nouvelle qui nous est annoncée tout au long du carême. Dieu est amour et nous nous préparons à célébrer la manifestation suprême de cet amour pour nous : la Croix du Christ.
Cet évangile de Jean nous aide à comprendre comment la Croix du Christ est source du salut pour tout homme. L’évangéliste met ici en relation le serpent et le Christ. Tous deux sont dressés sur un mât au milieu du peuple. Cela a de quoi nous surprendre quand nous savons que le serpent dans la Bible est le symbole du mal absolu, toujours déjà-là, qui vient séduire l’homme. Si l’homme succombe à ses charmes, il devient complice du mal ; c’est cela le péché ! Quand le mal trouve en nous une complaisance et même une complicité. Le mal demeure une énigme qui scandalise aujourd’hui encore.  Pourquoi le mal ? D’où vient le mal ?
L’évangile fait ici allusion à un événement qui s’est passé au temps de Moïse. Le peuple avait récriminé une fois de plus contre Dieu. Les hommes furent mordus par des serpents venimeux qui envahirent leur camp. Beaucoup d’entre eux mouraient.  Ils se persuadent alors qu’ils sont punis à cause de leur péché. Ils demandent à Moïse d’intercéder auprès de Dieu. A son invitation, Moïse a fabriqué un serpent de bronze et l’a dressé au sommet d’un mât. Celui qui le regardait était sauvé.
Quand Dieu demande à Moïse de dresser le serpent, symbole du mal dont le peuple s’est rendu complice, il permet que les hommes prennent conscience de l’extériorité du mal. Non, les hommes ne font pas corps avec le mal, ils ne sont pas intrinsèquement et irrémédiablement mauvais. Mettre le symbole du mal à distance des hommes, c’est ouvrir un espace où la Miséricorde de Dieu pourra agir et guérir.
C’est ici que Jean, dans l’évangile, établit le lien avec la Croix sur laquelle le Christ est élevé. Il est dressé sur la Croix, non pas comme le symbole du mal l’a été, mais comme le symbole de la fidélité radicale du Fils à la volonté de Dieu. Si le mal est extérieur à l’homme, le Salut aussi vient de plus loin que l’homme. Il ne se sauve pas lui-même, mais il se sauve par la foi en Celui qui a accepté de livrer sa vie par amour sur la Croix. Croix glorieuse parce qu’elle nous révèle la Miséricorde infinie de Dieu.
En regardant vers le Christ dressé en croix, nous découvrons Celui de qui nous viennent le pardon et la réconciliation. Si nous regardons vers lui, lui accordant notre foi et reconnaissant qu’il nous sauve, nous sommes réconciliés avec Dieu et entre nous. La Croix du Christ recrée un peuple de fils et inaugure une humanité fraternelle. Regarder vers le Christ crucifié est, selon le Concile Vatican II, la caractéristique de ceux et celles qui forment l’Eglise du Christ. « L’ensemble de ceux qui regardent avec la foi vers Jésus auteur du salut, principe d’unité et de paix, Dieu les a appelés, il en a fait l’Eglise, pour qu’elle soit, aux yeux de tous et de chacun, le sacrement visible de cette unité salutaire.» (Lumen gentium, n°9)
L’Eglise doit s’interroger sans cesse sur ce qu’elle est et devient. Formons-nous une Eglise de la puissance, de la superbe ou sommes-nous l’Eglise de la Croix ? Sommes-nous une Eglise qui revendique ce que le Christ n’a pas revendiqué pour lui-même, à savoir le succès et le triomphe mondains, ou bien sommes-nous » la communauté  de la Croix » ? Nous le serons dans la mesure où nous regarderons avec foi vers le Crucifié, par qui nous vient le Salut de Dieu. Nous le serons aussi dans la mesure où nous accepterons de nous solidariser avec tous les crucifiés du monde, au nom de la fidélité à Celui qui s’est identifié aux « vaincus et aux oubliés de l’histoire«.