De quelle naissance parle-t-on ?

Noël, Messe du jour
25 12 17

Les textes du jour de Noël ne parlent pas de naissance. Nous ne connaîtrions qu’eux pour savoir ce qu’est Noël, il ne viendrait à l’idée d’aucun d’entre nous de parler de naissance. Et lorsque l’épître aux Hébreux parle d’un fils, de l’engendrement du fils, elle n’envisage pas la naissance de Jésus à Bethléem, mais sa résurrection, naissance à un monde nouveau, au « monde à venir ».
« Le fils, qui porte l’univers par sa parole puissante, après avoir accompli la purification des péchés, s’est assis à la droite de la majesté divine dans les hauteurs des cieux ; […] Dieu déclara-t-il jamais à un ange : Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré ? Ou bien encore : Moi, je serai pour lui un père, et lui sera pour moi un fils ? À l’inverse, au moment d’introduire le premier-né dans le monde à venir, il dit : Que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu. »
Il est une tradition néotestamentaire qui place l’engendrement du fils à la croix, qui fait de la mort et de la résurrection de Jésus son engendrement. La naissance de Jésus, il n’y avait pas grand monde pour y assister, des bergers et des anges, selon Luc. Matthieu n’en dit rien. Viendront les mages, un peu plus tard. Quant aux autres textes, aucun ne parle de la naissance de Jésus.
Des anges, des mages, personnages littéraires. Il faudra se contenter si l’on veut des témoins des seuls bergers, de Marie et Joseph. Jésus naît comme tout le monde dans l’anonymat. C’est la vie de celui qui passait en faisant le bien qui le rendit célèbre. Après sa condamnation, alors même que tous les siens l’avaient abandonné, il y avait plus de monde pour assister à son exécution !
Un homme donc, dans sa mort, est engendré, reçoit le nom de fils de la part de Dieu. A personne cela n’était arrivé, pas même à un ange qui, « à l’inverse », reçoivent l’ordre de s’incliner devant ce fils d’homme.
On a craint dans cette théologie, un adoptianisme, Jésus ne serait pas Dieu dès sa naissance, mais aurait été adopté par Dieu dans l’acte de la résurrection. Je ne sais si ce risque altère la foi, mais l’on ne peut rétrospectivement juger les écrits néo-testamentaires à l’aune de l’orthodoxie définie quelques siècles plus tard. C’est plutôt la volonté de définir Jésus d’un point de vue métaphysique ‑ qu’est-il vraiment ‑ qui pourrait apparaître comme une impasse. Ce qu’est Jésus en soi et pour soi n’a pas de sens ; d’une part, nous ne pouvons connaître le mystère divin, d’autre part, lui qui est l’homme pour les autres, l’homme pour nous, comment pourrions-nous le connaître en dehors de ce qu’il est pour nous ?
Dans ces vieux textes est confessé qu’un homme qui passait en faisant le bien, un homme crucifié comme un criminel, est établi par Dieu comme son fils, c’est-à-dire est ressuscité. Mieux, il est le premier-né, ce qui suppose qu’il aura des cadets. « Ceux que d’avance il a connus, il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son fils, afin que celui-ci soit le premier-né d’une multitude de frères. » L’engendrement divin de Jésus indique la source du salut que les prophètes avaient annoncée, comme nous l’avons entendu dans la première lecture. « Comme ils sont beaux sur les montagnes les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut, et vient dire à Sion : ‟Il règne, ton Dieu !” » […] Éclatez en cris de joie, […] car le Seigneur console son peuple. […] Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu. »
S’il est possible de sortir des impasses mortelles de la vie humaine, c’est qu’un homme est adopté par Dieu comme son fils et qu’ainsi tous, par lui, sont tirés de leurs enfermements. Comment ne pas penser à tous ceux auxquels, dans une assez grande indifférence, les projets de lois scélérates, préparés par le ministre de l’intérieur et l’ensemble du gouvernement, se proposent dans les faits de dénier la dignité humaine, sous prétexte que l’on ne pourrait pas accueillir toute la misère du monde ! La loi entérine le piétinement des droits de l’homme !
On pensera ce que l’on veut de l’accueil des migrants et réfugiés, mais on ne peut les traiter comme des sous-hommes, les laisser à la rue, les humilier, les chasser comme une vulgaire marchandise dont on ne veut pas. D’accord ou non avec la fermeture des frontières, ce sont des hommes, des femmes, des enfants. Nous avons le devoir de les traiter comme tels. Et à imaginer cinq secondes leur vie, nous avons de quoi comprendre ce qu’est l’attente d’un salut, ce que signifie être adoptés, comme les frères d’un premier-né.
Et si le père, c’est Dieu… Eh bien, c’est cela Noël. Ceux que notre pays rejette sont la parabole de Noël. Un salut pour sortir des impasses mortelles comme une bonne nouvelle criée à la terre entière, à pleins poumons, pour que tous les peuples la connaissent. Dieu lui-même se fait le père de l’homme, personne et communauté.
L’évangile de Jean le dit à sa façon, assez proche : « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu. Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire. »