Pour 2015

Décembre
Voici la nuit,
L’immense nuit des origines,
Et rien n’existe hormis l’Amour,
Hormis l’Amour qui se dessine :
En séparant le sable et l’eau,
Dieu préparait comme un berceau
La Terre où il viendrait au jour.
Didier RIMAUD, s.j.

Novembre
Je me suis bien plus cher que je n’en ai coutume :
avec toi dans mon cœur, je vaux plus que moi-même,
comme une pierre qui, dès lors qu’elle est taillée
passe en valeur, par là, sa roche originelle.

De même qu’une page, manuscrite ou peinte
retient mieux l’attention qu’un quelconque chiffon,
ainsi fais-je depuis que je suis une cible
où tes traits sont empreints –non que j’en aie regret !

Nanti de pareil sceau, il n’est de lieu où je n’aille,
sûr comme un homme armé ou fort d’un talisman
qui d’un coup réduirait tout péril à néant.

J’ai barre sur le feu et j’ai barre sur l’onde.
Grâce à ton effigie, je fais voir les aveugles,
Et j’assainis de ma salive tout poison.
MICHEL-ANGE, entre 1531-1547

Octobre
La « justice de la foi chrétienne » tient à son caractère amoureux : « la foi est en acte à travers l’amour » (Ga 5,6). C’est dire que désormais, dans le christianisme, la coprésence entre l’humain et le divin est un don amoureux, reçu et restitué qui, dans sa gratuité même, accomplit une promesse et réalise un pacte, en esquissant ainsi les contours de l’espace optimal d’un échange social et historique.
J. KRISTEVA, Cet incroyable besoin de croire, Bayard, Paris 2007, p. 70

Septembre
C’est une chose de voir l’autre comme non-porteur d’une menace qui pourrait conduire à ma désintégration. Mais voir l’autre répugnant comme ce qui me permet de devenir celui que je suis vraiment ? Pourtant, c’est bien cela, ce qui fonde l’Eglise : une victime crucifié dans la honte. C’est à partir de cet autre répugnant que commence le rassemblement d’un peuple issu de toutes les nations, tribus et langues, autrement dit, le rassemblement d’individus qui, tous, découvrent pour la première fois qui ils sont en abandonnant les frontières qui les dressaient les uns contre les autres.
J. ALISON, 12 leçons sur le christianisme, DDB, Paris 2015, p. 241

Juillet
On a tendance à croire « que tout accroissement de puissance est en soi “progrès”, un degré plus haut de sécurité, d’utilité, de bien-être, de force vitale, de plénitude des valeurs », comme si la réalité, le bien et la vérité surgissaient spontanément du pouvoir technologique et économique lui-même. Le fait est que « l’homme moderne n’a pas reçu l’éducation nécessaire pour faire un bon usage de son pouvoir », parce que l’immense progrès technologique n’a pas été accompagné d’un développement de l’être humain en responsabilité, en valeurs, en conscience. Chaque époque tend à développer peu d’autoconscience de ses propres limites. C’est pourquoi, il est possible qu’aujourd’hui l’humanité ne se rende pas compte de la gravité des défis qui se présentent, et « que la possibilité devienne sans cesse plus grande pour l’homme de mal utiliser sa puissance » quand « existent non pas des normes de liberté, mais de prétendues nécessités : l’utilité et la sécurité ».
FRANÇOIS, Laudati si’ § 105

Juin
L’évêque, assis près de lui, lui toucha doucement la main. – Vous pouviez ne pas me dire qui vous étiez. Ce n’est pas ici ma maison, c’est la maison de Jésus-Christ. […] Qu’ai-je besoin de savoir votre nom ? D’ailleurs, avant que vous ne me le disiez, vous en avez un que je savais.
L’homme ouvrit des yeux étonnés.
Vrai ? Vous savez comment je m’appelle ?
Oui, répondit l’évêque, vous vous appelez mon frère.
Victor HUGO, Les Misérables, I, II, 3

Mai
Jésus, nouveau Moïse, a voulu guérir le lépreux, il a voulu le toucher, il a voulu le réintégrer dans la communauté, sans “s’autolimiter” dans les préjugés ; sans s’adapter à la mentalité dominante des gens ; sans se préoccuper du tout de la contagion. Jésus répond à la supplication du lépreux sans hésitation et sans les habituels renvois pour étudier la situation et toutes les éventuelles conséquences ! Pour Jésus ce qui compte, avant tout, c’est de rejoindre et de sauver ceux qui sont loin, soigner les blessures des malades, réintégrer tous les hommes dans la famille de Dieu ! Et cela scandalise certains ! […]
Il y a deux logiques de pensée et de foi : la peur de perdre ceux qui sont sauvés et le désir de sauver ceux qui sont perdus. Aujourd’hui aussi il arrive, parfois, de nous trouver au croisement de ces deux logiques : celle des docteurs de la loi, c’est-à-dire marginaliser le danger en éloignant la personne contaminée, et la logique de Dieu qui, avec sa miséricorde, serre dans ses bras et accueille en réintégrant et en transfigurant le mal en bien, la condamnation en salut et l’exclusion en annonce.
Ces deux logiques parcourent toute l’histoire de l’Église : exclure et réintégrer.
(FRANÇOIS, homélie du 15 février 2015)

Avril
Le Cardinal Blázquez, président de la conférence épiscopale espagnole et archevêque de Valladolid, a préfacé un ouvrage dont la seconde partie traite des relations entre l’Espagne et Paul VI, pape de 1963 à 1978.
“El paso del tiempo político nos ofrece una perspectiva más adecuada, y la situación actual de la Iglesia ha introducido la serenidad requerida para valorar los acontecimientos de la ingente obra conciliar y la terminación de un régimen largo y autoritario. Hubo muchas incomprensiones, susceptibilidades, tergiversaciones, resistencias, y también aceptación simplemente leal y obediente de decisiones de la superior autoridad eclesiástica con las que había escasa sintonía interior. […] Se pasó en pocos años de una convivencia quizá demasiado estrecha a una desavenencia clamorosa. Católicos de toda la vida en poco tiempo se sintieron incomprendidos y desplazados. […] A Pablo VI le fue penoso que se mezclaran negativamente su desafección personal y cultural a un régimen no-democrático con su amor al pueblo español, la estima de su historia católica y la obligación pastoral después de un Concilio ecuménico, que no emitió precisamente en la misma longitud de onda que el Gobierno español en lo que se refería a la libertad religiosa, política y social.”

Mars
« N’est-ce pas plutôt ceci, le jeûne que je préfère : défaire les chaînes injustes, délier les liens du joug; renvoyer libres les opprimés, et briser tous les jougs ? N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair ?
Alors ta lumière éclatera comme l’aurore, ta blessure se guérira rapidement, ta justice marchera devant toi et la gloire du Seigneur te suivra. Alors tu crieras et le Seigneur répondra, tu appelleras, il dira : Me voici ! Si tu bannis de chez toi le joug, le geste menaçant et les paroles méchantes, si tu te prives pour l’affamé et si tu rassasies l’opprimé, ta lumière se lèvera dans les ténèbres, et l’obscurité sera pour toi comme le milieu du jour. »
Isaïe 58,7-10

Février
« Le discrédit social du christianisme […] est peut-être une chance pour la foi chrétienne : [il] lui facilite le retour à l’intuition première, Dieu ne s’impose pas, il se cherche et se désire ; la discrétion de Dieu manifestée dans le parcours de Jésus et en quelque sorte vérifiée dans le retrait silencieux de l’Esprit peut susciter à partir de la retenue de la communauté et de la pudeur de son annonce une séduction autre que celle du consensus superficiel ou social, éloignée de toute pression de pouvoir et de la fascination de la puissance. Dieu se révèle Dieu dans l’inverse de ce qu’en imaginent trop immédiatement les hommes. C’est lorsqu’il se dérobe que Dieu se fait proche. »
C. DUQUOC, « Discrétion du Dieu trinitaire et mission chrétienne », 2000

Janvier
« Très-saint père Eugène, je voudrais écrire quelque chose qui pût vous édifier, vous plaire ou vous consoler ; mais, sans pouvoir expliquer comment cela se fait, je sens que ma plume empressée et timide veut et ne veut pas m’obéir ; la pensée de la majesté pontificale et le penchant de mon cœur modèrent mon désir et l’excitent tour à tour, car tandis que la première m’inspire une certaine retenue, l’autre me presse de parler. […]
L’Église aujourd’hui est pleine d’ambitieux, voilà pourquoi on n’y témoigne pas plus de répugnance et d’horreur pour les intrigues et les cabales de l’ambition qu’on n’en éprouve dans une caverne de voleurs pour le récit des actes de brigandages exercés contre les voyageurs. »
SAINT BERNARD, De la considération, Prol. et I, 10 (1150)