Quelques paroles de despedida

A la paroisse
17 06 18

Bonne route !

Il faut partir. Ce n’est pas de gaité de cœur ; six ans, c’est court, à peine plus que ce qui est nécessaire pour faire partie du paysage. Or cette sorte de visibilité, tissée semaine après semaine, est ce qui rend possibles de nouvelles rencontres, tout spécialement avec ceux qui ne participent pas aux rassemblements paroissiaux, notamment notre eucharistie dominicale. Le temps permet aussi une possibilité d’accompagnement : on se retrouve de joies en épreuves de la vie.
Le départ et l’arrivée d’un curé, pour une communauté, c’est une période délicate. Certains se réjouissent d’être enfin débarrassé de celui qu’on leur a imposé quand d’autres regrettent ; beaucoup sont, ne serait-ce qu’un peu, bousculés et parfois insécurisés. Le confort de savoir à qui l’on a affaire fait place à l’incertitude, bien relative cependant.
Le changement de curé est chose ordinaire et pourtant pas banale. Il permet de réentendre le sens de la mission et de la paroisse. Nous sommes envoyés les uns aux autres, nous ne nous sommes pas choisis, nous ne nous organisons pas entre nous, nous recevons une communauté et des prêtres, indice de la catholicité et de l’apostolicité de l’Eglise.
Un ministre à recevoir, cela a souvent un sens géographique. Il vient d’ailleurs, il n’est pas né ni n’a grandi ici. Pour nous, quasiment tous d’ailleurs, cette extériorité est relativisée. Mais il en est d’autres, sociales. Notre paroisse présente un sociogramme très homogène et donc étroit, tant par la classe d’âge, les orientations politiques, le milieu social, le pouvoir d’achat, l’origine culturelle et familiale, des manières d’exister en société. De sorte que pour qui n’en est pas, il n’est pas facile d’être accueilli. On me l’a dit plusieurs fois.
Il nous aura fallu du temps pour nous accueillir mutuellement, et cela aura pu être difficile. Certains pensent que j’ai mal fait et ont quitté la paroisse. Des lettres de dénonciations avaient visé mon prédécesseur. J’en ai aussi été l’objet, qui servent de prétexte à m’exclure des paroisses françaises à l’étranger. Les prêtres ne peuvent s’imposer comme des tyrans sous prétexte de leur petit nombre, mais on ne pourra regretter leur petit nombre si on ne les accueille pas, alors qu’ils ne sont pas ce qu’on attendait. J’espère que l’accueil sera plus facile et unanime pour mon successeur.
Je me rappelle ces paroles d’un prêtre de l’équipe où j’arrivais comme vicaire, lors de ma première nomination, il y a vingt-sept ans : Ce qu’est un bon prêtre ? Un prêtre qui est mort depuis longtemps. Ce réalisme cynique aide à prendre du recul. Le mal que nous avons pu nous faire, il faudra le guérir si nous voulons vivre, c’est-à-dire pardonner. Un changement de curé sert aussi à cela. Heureusement, d’ores et déjà la majorité d’entre nous a estimé le bien de la communauté supérieur à ce que nous devions supporter.
Je demeure persuadé que nous avons été pris dans un conflit qui ne nous appartenait pas vraiment. C’est toute l’Eglise de France qui s’est déchirée autour du mariage pour tous alors que j’arrivais. C’est toute l’Eglise qui demeure divisée quant aux options à retenir alors que la société ne se pense plus à partir de l’évangile. Le changement d’évêque à Rome aura été une des sources d’apaisement pour notre paroisse aussi.
Ces six années madrilènes, neuf années espagnoles, m’auront fait vivre comme un ermite. Nous nous rencontrons peu en dehors de la messe du dimanche, qui n’est de surcroît pas le rassemblement de tous. C’est ainsi, il n’y a pas à le déplorer, c’est lié tant au statut de paroisse non territoriale, qu’à ce que les baptisés, eux aussi se comportent en consommateurs, même par rapport à la foi comme avec le reste. Je me suis souvent dit que vous, vos enfants déjà, aviez des agendas de folie.
Je n’ai pas osé, sans doute pas assez osé, demander plus, voyant combien déjà les rendez-vous importants étaient difficiles à caller. Nous ne sommes par exemple jamais arrivés à ce que la Prière Universelle soit régulièrement prise en charge par tel ou tel.
Le conseil paroissial aura été un lieu de partage et de soutien, un lieu pour traverser les crises et pour annoncer l’évangile ne serait-ce qu’en construisant la paix. Merci aux membres de ce conseil, d’hier et d’aujourd’hui.
La plus grande découverte pour moi aura été le caté. Je ne m’étais jamais occupé des primaires. Et quelle découverte. J’ai aimé retrouver les enfants, leurs questions, leurs discussions d’enfants. Je crois qu’ils me l’ont bien rendu. Ils posent les questions les plus difficiles, l’air de rien. Les réponses de façade ne pouvaient être les miennes et surtout, les enfants ne sont pas dupes. Cela a aussi été un lieu de rencontre avec pas mal de parents.
Les retraites paroissiales (après un petit bout de pèlerinage la première année) nous auront donné de nous découvrir autrement et de nous apprécier. En tout, cinq prédicateurs nous ont aidés sur le chemin de la foi, homme ou femme, évêque ou prêtre. En six ans, la paroisse aura accueilli douze évêques, histoire de faire entendre d’autres personnes et de manifester que notre communauté ne peut vivre sans les autres communautés chrétiennes.
L’œuvre Saint Louis et ses activités demeurent très inconnues de nombre d’entre nous ; c’est dommage parce que la charité devrait être ce qui nous fait connaître comme chrétiens. Il nous faut porter ensemble cet instrument au service de ceux qui en ont besoin. Le travail et les collaborations demeureront une étape importante pour moi.
Merci pour tout ce que nous nous sommes offert, pour le chemin de foi ensemble. Ce chemin c’est Jésus. Nous sommes nombreux en CDD à Madrid. Bonne route à tous.

A la Résidence de France
21 06 18

Monsieur l’Ambassadeur,
Monsieur le Consul général
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Monsieur l’Ambassadeur a eu la délicatesse de nous convier ce soir à l’occasion de mon départ. J’espère que cela ne froissera personne eu égard à la laïcité. Il n’y aurait d’ailleurs pas de quoi puisque c’est la République qui s’est arrogé le devoir de nommer le recteur de l’Œuvre Saint Louis. C’était en 1876, il est trop tard s’en plaindre.
Il était inenvisageable de rassembler tous ceux que cette nomination m’aura donné de rencontrer. Nous sommes ce soir un petit échantillon, paroisse, Œuvre Saint Louis, Français ou francophones, Espagnols, personnes engagées au service des autres et membres d’une association, Pueblos Unidos, la Kalle, NorteJoven, etc. Merci à chacun de s’être rendu disponible alors que cette seconde quinzaine de juin est très chargée pour tous.
Le travail d’un curé de paroisse consiste grandement à faire se rencontrer des gens. Et je voudrais que nous continuions ce soir encore. Voilà, je vous présente des gens extraordinaires de qui mon ministère m’a permis de faire connaissance. Que l’on ne croie pas que ce travail de mise en relation des uns et des autres ne soit qu’un moyen en vue de l’évangile. Il est l’évangile, parce qu’il est invitation à se reconnaître frères, que nous accordions foi ou non à Jésus. Ce que vous pouvez tous, faire se connaître des gens, mieux, se re-connaître des gens, j’ai la chance que ce soit mon métier.
Beaucoup le savent, je pars dans le nord de la Bourgogne, accueilli par les diocèses de Sens-Auxerre et de la Mission de France. (Cette destination peu convenue dénonce que dans l’Eglise aussi, les coups foireux existent, autant que les solidarités.) Je serai au service des paroisses du secteur de Chablis, des détenus de la centrale de Joux-la-ville, des différentes initiatives auprès des migrants, et des services de formation des deux diocèses. Vous le percevez, la tâche sera aussi diversifiée que stimulante.
La responsabilité de l’Œuvre Saint Louis m’a donné de travailler avec plusieurs des fonctionnaires de la République, bien sûr vous, Monsieur l’Ambassadeur, Monsieur le Consul Général, vos prédécesseurs dont j’aime à rappeler les noms, Christine Toudic et Jérôme Bonnafont. Je ne vais pas citer tout le monde, mais je tiens à mentionner vos secrétariats respectifs et les services sociaux et culturels de vos institutions. J’ai vu que le souci du bien commun n’est pas un vain mot, que la qualité des relations humaines permet de dépasser des imbroglios juridiques dont nous ne sommes pas venus à bout, que la séparation des Eglises et de l’Etat n’empêche pas une action commune, notamment au service des plus démunis.
Depuis très longtemps, la violence de la vie m’a obligé à me méfier du pouvoir. Le Cardinal Billé à qui je m’en ouvrais refusa délicatement que tout pouvoir ne puisse qu’être tyrannique. Il voulait vivre son ministère comme un service. Je persiste à penser qu’il n’y a qu’une contrainte extérieure aux pouvoirs qui puisse garder les pouvoirs, et aussi dans l’Eglise, dans le cadre de limites acceptables, celles qui conjuguent le respect des libertés et promeut la recherche du bien dans des institutions justes.
J’ai un jour entendu un confrère prêcher sur l’épisode du banquet de Balthazar, fils de Nabuchodonosor. Il relevait, attentif aux mots de la narration, qu’autour du roi, il y avait des eunuques, choisis pour leur dévouement et leur science. Mais ils n’étaient que des courtisans effrayés, sans moyens, incapables de déchiffrer ce qui s’écrivait sur le mur de la salle des fêtes. C’est que, concluait le confrère, le pouvoir rend stérile.
Il semble que cette vieille leçon du texte biblique, nos dirigeants même les plus humanistes l’aient oubliée. Peut-être ne leur est-elle jamais parvenue. Cette ignorance est plus curieuse encore dans l’Eglise. « Le monde est en feu », disait Teresa de Jesus, et nous continuons à allumer la guerre sous prétexte de contre-feux plutôt que d’éteindre les incendies. Je nous souhaite d’avoir la liberté de mépriser l’avancement ou les honneurs que nous octroieraient la compagnie des puissants ; il y a assez de stérilité en nos sociétés et dans les Eglises, pour que nous souhaitions être féconds, artisans de paix, défenseurs de la dignité de chacun, promoteurs d’une égalité entre les peuples et les origines ethniques, entre hommes et femmes, entre riches et pauvres, pour « renouveler la fraternité ». Si l’on ne goûte guère la littérature du livre de Daniel, on pourra je l’espère trouver, par exemple dans la Légende du Grand Inquisiteur, un plaidoyer pour la liberté.
Parfois, il y a de quoi être usé par tout ce qui détruit l’humanité, d’autant que nous n’en sommes jamais totalement indemnes. L’Europe à laquelle nous tenons tant, particulièrement en Espagne et en France, se suicide à ne pas mener de façon concertée une politique migratoire. C’est son âme qu’elle perd la vendant aux plus offrants. En outre, aucune politique économique ne sera crédible ni même respectable, qui commencera par inscrire dans la loi non seulement les inégalités, mais ce qui les renforcent. Notre devoir d’hommes et de femmes consiste à tâcher de demeurer fidèles à ceux qui comptent sur nous. Ce sont d’ailleurs eux qui nous tiennent, ce sont eux qui nous obligent, ce sont eux qui nous provoquent ‑ nous appellent en avant ‑ à dire « Ici, je me tiens. »
Certains d’entre nous, en tâchant de répondre à l’appel à nous montrer prochains de tout homme, sont saisis par ce vers quoi ils sont tendus, « plus intime à eux-mêmes qu’eux-mêmes » et tellement différent. Je demande pardon pour ne pas en avoir été assez le témoin.
Me ha encantado hasta los últimos días descubrir a España y a sus habitantes. En nada soy paciente, y viendo la convivencia desde fuera, observándola, a veces fastidiado por la pérdida de tiempo, me quedo lleno de admiración, por poner encima de todo la relaciones humanas, por elegir y practicar una lógica de gratuidad en la vida, parábola de la gracia no sólo en un sentido estético, pues también en un sentido teológico.
Gracias.
Fête de saint Louis de Gonzague