Pour 2017

Décembre
Nous voulons toujours clarifier, quand le mystère, l’obscur sont la loi de ce monde. Il y a plus d’ombre que de soleil. Je crois vous l’avoir déjà dit : Le clair-obscur, la pénombre, Rembrandt règnent ici-bas souverainement. La Religion est l’acceptation intellectuelle de toutes les contradictions. Nous nous débattons dans la nuit plus ou moins étoilée. Croire, c’est ajourner les réponses lumineuses.
A. Mugnier, lettre du 19 10 1919, J’ai bien souvent de la peine avec Dieu, correspondance Marie Noël Abbé Mugnier, Cerf, Paris 2017, p. 63.

Novembre
Quand nous avons voulu rédiger un préambule à la Constitution européenne, nous avons pensé à définir ce qu’était l’Europe, nous accorder sur son identité. Or cette définition d’une identité européenne était impossible, cette voie sans issue. L’Europe est-elle chrétienne comme l’ont définie les uns (invoquant ‟ses racines chrétiennes”, ‟Clovis” en France) ? Ou bien n’est-elle pas plutôt laïque (si l’on songe au puissant enfantement des ‟Lumières” et la promotion du rationalisme) ? […] Or, bien sûr, ce qui fait l’Europe, c’est qu’elle est à la foi chrétienne et laïque (et autre). C’est qu’elle s’est développée dans l’écart des deux. […] Au regard de quoi, toute définition de la culture européenne, toute approche identitaire de l’Europe, n’est pas seulement terriblement réductrice et paresseuse. Mais aussi elle étiole, déçoit et démobilise.
F. Jullien, Il n’y a pas d’identité culturelle, L’Herne, Paris 2016, pp. 49-50

Octobre
Dans la Bible, c’est le rôle du nabi que de rappeler les conditions de l’espérance. Qu’est-ce qu’un nabi ou un prophète (selon la traduction grecque du mot hébreu) ? Celui qui voit […] non pas l’avenir mais la parole en train de se faire dans l’histoire et dans les corps. Il voit ce que personne ne veut voir et a pourtant sous les yeux. Le voyant prophète saisit l’intolérable dans une situation. […] Ce que fait apparaître le prophète, ce n’est pas un avenir, mais le tiers exclu, le nouveau, l’invisible ou le silence de la situation présente qui vient alors bouleverser notre perception du temps. »
F. Boyer, Là où le cœur attend, P.O.L, Paris 2017, pp. 156-157

Septembre
Nous autres fidèles, nous participons symboliquement, après le baptême, aux mystères du corps du Seigneur Christ ; ainsi, après la résurrection d’entre les morts, nous attachant au Seigneur Christ, nous participons à sa gloire, tirant gloire de sa gloire. C’est pour cela que ces mystères s’appellent communion. […] Car c’est bien ce que signifie la communion aux mystères : participer aux corps glorieux du Christ, en s’y réfléchissant comme dans un miroir, et participant à sa gloire.
Cosmas Indicopleustès, vers 547

Juillet
Il n’y a pas d’‟espèces” à l’intérieur du genre humain. Ce dernier est ‟un” et rien qu’un, car tout être humain est créé de la même façon : à l’image et ressemblance de Dieu. Il n’y a pas davantage de différence entre l’homme et la femme, car le texte ajoute une précision on ne peut plus claire : ‟Dieu créa l’homme à son image ; il le créa à l’image de Dieu ; il le créa mâle et femelle”. […] Le récit de la création en Genèse nie qu’il y a des différences entre ethnies et races humaines ou qu’il y en ait entre hommes et femmes.
J.-L. Ska, Le chantier du Pentateuque, Lessius, Namur Paris 2016, p. 86

Juin
Ayant laissé tomber toutes les apparences, non seulement ce que perçoivent les sens, mais ce que l’intelligence croit voir, [l’esprit humain] tend toujours plus vers l’intérieur jusqu’à ce qu’il parvienne, par l’effort de la pensée, jusqu’à l’invisible et à l’inconnaissable et que là il voie Dieu. C’est en cela que consiste en effet le vrai savoir à propos de celui que [l’homme] cherche et sa vraie vision, dans le fait de ne pas voir. […] Ce que Dieu défend d’abord la parole divine [dans le premier commandement] c’est en effet que les hommes n’assimilent Dieu à rien de ce qu’ils connaissent ; nous apprenons par-là que tout concept formé par l’entendement pour essayer d’atteindre et de cerner la nature divine ne réussit qu’à façonner une idole de Dieu, non à le faire connaître. [Le chemin vers la connaissance ne peut donc passer que par la vertu, l’amour des frères.]
Gregoire de Nysse, La vie de Moïse, II 163-165 (vers l’an 392)

Mai
Vivre, rendre sa propre vie possible, peut signifier seulement (…) se saisir de sa propre impossibilité à vivre. C’est alors seulement que la vie commence.
G. Agamben, Polichinelle ou divertissement pour les jeunes gens en quatre scènes, Macula, Paris 2017, p. 92

Avril
A Charlus qui pleure les désastres causés par la guerre de 14-18 au patrimoine architectural et religieux français, les cathédrales gothiques notamment, le narrateur répond :
J’adore autant que vous certains symboles. Mais il serait absurde de sacrifier au symbole la réalité qu’il symbolise. Les cathédrales doivent être adorées jusqu’au jour où, pour les préserver, il faudrait renier les vérités qu’elles enseignent. […] Ne sacrifiez pas des hommes à des pierres dont la beauté vient justement d’avoir un moment fixé des vérités humaines.
M. Proust, Le temps retrouvé (1927), Gallimard Paris 1989, p. 374

Mars
Ressuscitant, le Christ domine la loi. Elle qui n’était qu’une préparation et qui était devenue système de salut, elle se trouve définitivement abolie et le Christ nous introduit dans une situation nouvelle, l’adoption filiale dans laquelle nous sommes transformés. En fait, ce n’est pas en deux étapes successives mais par le même événement que se réalisent notre libération et notre adoption.
C. Reynier, L’évangile du Ressuscité, Cerf, Paris 1995, p. 134

Février
C’est à la fin du XVIe siècle que se répand l’idée que la matière – notre matière d’ici – est universelle, que les astres les plus lointains et « divins » sont comme la terre sur ce point. Et l’on peut déjà pressentir les conséquences sans nombre de cette nouvelle intuition : si les sphères célestes sont corruptibles comme la nature terrestre, voici fermé à jamais le plus superbe chemin par lequel l’exercice des sens ait jamais approché des dieux ‑ et le divin doit être cherché désormais comme transcendance pure, dans une expérience intérieure. […] Bientôt, de ce Dieu chassé de tout le visible, Descartes effacera les derniers vestiges dans l’appréhension des phénomènes, et ce sera le triomphe de la causalité mécaniste.
Y. Bonnefoy, Rome 1630, Paris 20002, pp. 21-22

Janvier
Alors que Jésus de Nazareth est Dieu qui se donne aux hommes, l’Eglise s’est trop souvent considérée comme l’institution chargée de donner les hommes à Dieu.
G. Crespy, L’Eglise, servante des hommes, 1966, p. 118.