Pour 2016

Décembre
Plus un homme est croyant, plus il s’approche de Dieu, plus il sent la présence de Dieu comme une absence qui l’envahit : « Nul ne peut voir Dieu sans mourir », sans mourir même à la conscience de Dieu, car il est insondable.
J. Moingt, « La révélation du salut dans la mort du Christ » (1976), p. 144

Novembre
L’amour vrai accepte l’aimé tel qu’il est. […] Comme chaque chrétien authentique le sait, l’amour est l’œuvre de l’amour, l’œuvre pénible et ardue de la répétition du « découplage » par lequel, encore et toujours, il faut se dégager de l’inertie qui nous contraint à nous identifier à l’ordre particulier dans lequel nous sommes nés. […] C’est cet héritage chrétien du « découplage » qui est menacé aujourd’hui par les « intégrismes », et tout spécialement lorsqu’ils se disent chrétiens. Le fascisme n’implique-t-il pas, en dernière analyse, le retour aux mœurs païennes qui, refusant l’amour de l’ennemi, cultive l’identification totale avec sa propre communauté ethnique ?
S. Žižek, Fragile absolu, Pourquoi l’héritage chrétien vaut-il d’être défendu ? (2000), Flammarion, Paris 2008, p. 186

Octobre
Il faut parler de racines [de l’Europe] au pluriel car il y en a tant. En ce sens, quand j’entends parler des racines chrétiennes de l’Europe, j’en redoute parfois la tonalité, qui peut être triomphaliste ou vengeresse. Cela devient alors du colonialisme. Jean-Paul II en parlait avec une tonalité tranquille. L’Europe, oui, a des racines chrétiennes. Le christianisme a pour devoir de les arroser, mais dans un esprit de service comme pour le lavement des pieds. Le devoir du christianisme pour l’Europe, c’est le service. […] L’apport du christianisme à une culture est celui du Christ avec le lavement des pieds, c’est-à-dire le service et le don de la vie. Ce ne doit pas être un apport colonialiste.
François, interview à La Croix, 19 mai 2016

Septembre
Les gestes de Jésus pourraient se résumer en un mot : il fait vivre. Comme le récapitulera Jean, dans [le] prologue : « En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes » (Jn 14). Quand Jésus guérit la belle-mère de Pierre, qu’il ouvre les yeux de l’aveugle, qu’il renvoie droite la femme courbée et que le lépreux retrouve la peau d’un nouveau-né, c’est la victoire de la vie. Là, tout est résurrection, comme si Jésus anticipait dans ses gestes ce que sera sa propre résurrection, dans laquelle éclatera la puissance de vie du Père. Dieu fait vivre, et Jésus passe son temps, au nom de Dieu à faire vivre et revivre.
J.-N. Bezançon, Dieu n’est pas bizarre, pp. 66-67

Juillet
Il n’y a pas d’identité, il n’y a que des intentions d’identité et l’appartenance n’existe pas. Seules se manifestent des volontés d’appartenir à quelque chose ou à quelqu’un.
P. Boucheron, cours au Collège de France du 14 mars 2016. Chaire «Histoire des pouvoirs en Europe occidentale, XIIe-XVIe siècles».

Juin
[Dans l’Antiquité, le christianisme se caractérise comme] une religion à profession de foi. Il ne suffisait pas d’être chrétien, il fallait se dire chrétien, le professer, car on y avait avec Dieu (comme dans le judaïsme et les Psaumes) une relation personnelle qu’ignorait le paganisme ; on endurait le martyre pour ne pas renier sa foi. Le païen ne professait rien, ne disait pas croire à ses dieux ; il allait sans dire qu’il y croyait puisqu’il leur rendait un culte ! Chaque peuple, disait-on, « avait » ses dieux à lui, chaque individu pouvait « avoir » les siens. […] C’est depuis l’exclusivisme chrétien qu’on emploie le verbe « croire ».
P. Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394), LGF 20124, p. 60

Mai
Qu’est-ce que j’aime quand je t’aime ?
Ni la beauté d’un corps ni le charme d’un temps ni l’éclat de la lumière, amie de mon regard, ni les douces mélodies des cantilènes sur un mode ou sur un autre, ni le parfum des fleurs, des essences et des aromates, ni la manne ou le miel, ni les membres enlacés dans les étreintes physiques –
Ce n’est pas ce que j’aime quand j’aime mon Dieu.
Et pourtant j’aime une lumière, une voix, une odeur, un aliment, une étreinte, quand j’aime mon Dieu.
Lumière, voix, odeur, aliment, étreinte, sont dans mon humanité profonde où il y a pour moi un éclair que ne retient pas l’espace, une sonorité qui échappe au temps, une exhalaison sortie d’aucun souffle, une saveur que n’affaiblit pas la voracité, un accouplement au-delà de la jouissance.
C’est ce que j’aime quand j’aime mon Dieu.
Mais qu’est-ce que c’est ?
St Augustin, Confessions X 8-9 (Trad. F. Boyer), vers 400

Avril
Les attaques contre le Pape et contre l’Église ne viennent pas seulement de l’extérieur, mais les souffrances de l’Église viennent proprement de l’intérieur de l’Église, du péché qui existe dans l’Église. Ceci s’est toujours su, mais aujourd’hui nous le voyons de façon réellement terrifiante : que la plus grande persécution de l’Église ne vient pas de ses ennemis extérieurs, mais naît du péché de l’Église et que donc l’Église a un besoin profond de ré-apprendre la pénitence, d’accepter la purification, d’apprendre d’une part le pardon, mais aussi la nécessité de la justice. Le pardon ne remplace pas la justice.
Benoît XVI (11 mai 2010)

Mars
Il arrive un jour où le croyant se rend compte que la Bible lui raconte des histoires, qu’il ne faut pas croire, mais à travers lesquelles se jouent une histoire vraie, celle de Dieu avec nous. Dans l’histoire, il y a du visible et de l’invisible, il ne faut pas croire ce qui n’est que visible, mais l’invisible qui lui donne sens. Quand il a compris cela, le croyant accède à une foi critique, « adulte ».
J. Moingt, Croire quand même, Temps présent, Paris 2010, p. 112

Février
Voici comment se mesure la différence entre l’ancienne Loi et la nouvelle. L’ancienne Loi dit à ceux qui s’enorgueillissent dans leur justice : « Tu dois avoir le Christ et son Esprit ! » La nouvelle Loi dit à ceux qui sont humiliés par leur pauvreté en cette affaire et qui cherchent à obtenir le Christ : « Voici le Christ et son Esprit ! » Par conséquent, ceux qui interprètent l’Evangile autrement que comme une « bonne nouvelle »* ne comprennent pas l’Evangile : comme font ceux qui l’on changé en Loi plutôt qu’en grâce, et de Jésus Christ nous ont fait un Moïse !
Martin Luther, Cours sur l’Epître aux Romains, 1515-1516
*Par exemple comme une morale.

Janvier
De crainte, il n’y en a pas dans l’amour ; mais le parfait amour jette dehors la crainte, car la crainte implique un châtiment; et celui qui craint n’est pas accompli dans l’amour.
1ère lettre de Jean, 4, 18